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Interview de Victoire de Changy, autrice et chargée de communication aux Midis de la Poésie 

– Printemps 2018 –

Que sont les Midis de la Poésie ?

Les Midis de la Poésie, c’est une organisation qui existe depuis plus de 70 ans à Bruxelles. Elle organise tous les mardi midis de septembre à avril (parfois jusqu’à juin) des conférences littéraires poétiques. Poésie est à prendre au sens large, à savoir tout ce qui est de l’ordre du poétique, dans la littérature, parfois dans le théâtre, dans le cinéma. La formule est très simple: pendant une heure sur le temps de midi, un auteur vient parler d’un sujet sociétal ou d’un auteur qu’il aime. Il ne vient jamais parler de son propre travail. Il est toujours accompagné d’un comédien qui lit des textes pour illustrer le propos. Les Midis de la Poésie prennent place aux Musées Royaux des Beaux-Arts (parfois au Théâtre National, au Théâtre des Martyrs ou chez d’autres lieux partenaires).
Les Midis de la Poésie sont de moins en moins cantonnés aux midis puisqu’il y a également des goûters de la poésie, des apéros de la poésie, des soirées spéciales, bref les Midis de la Poésie deviennent de plus en plus les midis-minuit de la poésie ! Les goûters de la poésie ont lieu à La Bellone, un samedi par mois de 14h à 16h. C’est un artiste plastique qui vient donner un atelier intergénérationnel dont le dénominateur commun doit être la poésie. Ce sont des artistes plastiques issus de disciplines différentes donc ça peut être très varié. Les apéros poésie sont souvent des mises en musique de poésie.

Comment fait-on pour assurer la continuité avec ce qui s’est fait dans le passé tout en apportant un peu de modernité quand on travaille pour une organisation qui a déjà 70 ans ?

En s’entourant de personnes jeunes, sans aucun doute. C’est comme ça qu’on peut renouveler la chose. Et en même temps, au sein de notre CA, il y a des gens qui sont aux Midis depuis 40 ans et qui permettent de pérenniser la chose. Et puis nous avons beaucoup d’archives : on a de quoi s’inspirer ! On parle de poésie contemporaine parce c’est important, mais aussi de poésie culte classique belge.

Pourquoi avoir fait le choix de dire les textes par des comédiens professionnels ?

Dans la poésie, l’oralité est extrêmement présente, c’est pour cela que la mise en voix de textes est vraiment essentielle pour nous. Le propre du poème c’est d’avoir une sonorité quand on le lit, donc c’était l’évidence.

Comment sélectionnez-vous les intervenant.e.s et les textes ?

Au hasard de coups de cœur, de périodes. Nous n’avons pas de règle. La seule règle est de ne pas faire de promotion donc ce n’est pas en fonction de la sortie d’un livre. Au hasard d’une question qui nous anime ou de choses que l’on vient de découvrir.

Qu’est-ce que vous répondez aux personnes qui disent que la poésie c’est ringard ?

Je leur fais lire des choses et je les fais changer d’avis assez facilement (rires).

Par exemple ?

Question compliquée (rires). J’ai envie de vous parler d’un de mes poèmes préférésLa Marche à l’amour de Gaston Miron qui est un poète québécois.

La Marche à L’amour, extrait

Tu as les yeux pers des champs de rosée
Tu as des yeux d’aventure et d’années-lumière
La douceur du fond des brises au mois de mai
Dans les accompagnements de ma vie en friche
Avec cette chaleur d’oiseau à ton corps craintif
Moi qui suis charpente et beaucoup de fardoches
Moi je fonce à vive allure et entêté d’avenir
La tête en bas comme un bison dans son destin
La blancheur des nénuphars s’élève jusqu’à ton cou
Pour la conjuration de mes manitous maléfiques
Moi qui ai des yeux où ciel et mer s’influencent
Pour la réverbération de ta mort lointaine

        Sinon écoutez du slam, c’est déjà de la poésie !

Qu’est-ce qui fait que ce poème est si adapté à quelqu’un.e qui n’aimerait pas la poésie ?

Je ne peux pas dire pourquoi il est adapté à quelqu’un qui n’aimerait pas la poésie, mais je peux dire pourquoi je l’aime, c’est plus simple. Parce qu’on ne comprend pas bien mais on comprend tout. Il fait partie des poèmes qui te transperce sans que tu comprennes le sens premier de chaque phrase et de chaque vers. Mais ça te touche et c’est que tu le comprends quelque part, en tout cas ton corps le comprends. 

Votre programmation comporte beaucoup de textes et artistes engagé.e.s, est-ce un objectif important pour les Midis de la Poésie ?

C’est très important, et ça l’est même de plus en plus. Les Midis souhaitent vraiment être attentifs à ce qu’il se passe autour de nous et faire quelque chose à leur échelle. Ces derniers mois, la question féministe a été beaucoup remise à l’avant de la scène par exemple, et il était temps ! Il y a aussi la question des migrants. Les Midis sont présents du mieux qu’ils peuvent et participent à cela, relaient sur leurs réseaux des manifestations importantes. C’est une asbl qui se veut très engagée oui.

Y-a-t-il des poétesses que tu recommanderais ?

Je peux en citer une, belge, qui s’appelle Charline Lambert, qui est toute jeune. Elle a à peine 30 ans. C’est une merveilleuse poétesse. Elle en est déjà à l’écriture de son troisième recueil. Elle a une façon de parler de sa poésie de manière magnifique. Elle est poétique tout entière !

Comment en arrive-t-on à travailler pour les Midis de la Poésie ? Qu’est ce qui a fait qu’aujourd’hui tu as envie de faire découvrir et partager la poésie?

Je suis écrivaine, et je n’écris pas de la poésie à proprement parler, mais je pense que quelque part si. J’écris de la littérature plutôt de l’ordre du poétique et j’étais intéressée par les Midis bien avant d’y travailler. J’y suis allée plusieurs fois et de fil en aiguille et avec un peu de chance, j’ai pu y travailler.

Comment vient la passion de l’écriture ?

Question difficile. J’ai du mal à y répondre parce que je l’ai toujours eu. Mais assurément en lisant. C’est la réponse la plus classique. Comme j’ai vraiment ça depuis l’enfance, je ne peux pas vraiment parler d’un déclic. Depuis que j’ai 5/6 ans, c’est ça que je veux faire.

Je sors un peu du cadre de l’interview, mais j’ai une question qui me travaille. Comment faire quand on a envie d’écrire mais qu’on ne sait pas sur quoi écrire ?

Il faut ouvrir les yeux parce qu’il y a de quoi écrire, il y a de quoi raconter partout. Le mythe de l’idée divine qui arrive, il faut l’oublier. Parfois ça arrive, parfois il y a des espèces de fulgurances, mais la plupart du temps il faut forcer un peu l’inspiration. Donc il arrive que je me mette devant mon ordinateur sans savoir où je vais aller et finalement ça vient assez facilement.

Plutôt fiction ou écrit réel ?

C’est tout à fait différent. Personnellement j’ai écrit deux livres ; un inspiré de faits réels « fictionalisés » et un absolument fictionnel. Ce n’est pas la même difficulté. La non-fiction, c’est plus facile parce qu’on a sa matière qu’il faut retravailler, mais c’est moins grisant. Écrire de la fiction ne m’a pas paru plus compliqué, juste plus merveilleux.

Peux-tu nous parler d’un poète contemporain belge peu connu, que les Midis de la Poésie auraient à coeur de faire découvrir ? 

Je parlerais de Jean-Pierre Verheggen, qui n’est pas du tout un jeune poète belge puisqu’il est né en 1942, et qui est un peu passé à la trappe. Il est beaucoup moins connu aujourd’hui. Il écrit des textes magnifiques. Et je conseillerai Gisella, qu’il a écrit sur sa femme, c’est d’une beauté à pleurer.

Comment envisagez-vous la saison culturelle à venir aux Midis de la Poésie ?

Comme je l’expliquais, les Midis deviennent des midis-minuit et c’est comme ça que ça va se construire. Je crois que nous n’allons plus rester cantonnés à une tranche horaire, ni à une discipline. Parce que nous sommes en train d’élargir la poésie à tous les arts, nous sommes en train de toucher aux arts plastiques, à la vidéo. L’idée c’est d’être un vecteur transmetteur de poésie, de faire découvrir la poésie au sens large par tous les bords et par tous les moyens.

N’est-ce pas compliqué de faire se déplacer les gens sur le temps de midi ?

Si ça l’est. Mais nous avons notre public. La majorité du temps, nos salles se remplissent par elles-mêmes. On a vraiment un public de fidèles et de plus en plus de nouveaux arrivants. C’est une pause agréable pour les gens. C’est sûr que c’est un réel défi et que notre public du midi n’est pas le même que notre public du soir, mais c’est ça qui est intéressant.

Comment l’idée est venue de faire la poésie sur le temps de midi ?

Je crois que l’idée est venue d’Angleterre, où ils ont commencé avec de la musique. Ça existe toujours d’ailleurs : les Midis-Minimes à Bruxelles, avec des concerts tout l’été au conservatoire sur le temps du midi.

Comment faire découvrir la poésie a un non initié ?

On peut commencer par faire lire de la poésie qui n’est pas forcement en vers et en rimes. Il y a des textes poétiques qui se rapprochent de la littérature, qui ont une vraie histoire, qui sont de la poésie, mais pas au sens formel. Je pourrais parler d’un poète que je trouve particulièrement accessible et fin à la fois : Jérôme Poloczek. Il écrit ce qu’il appelle des « presque poèmes » parce qu’il sort du sens littéral. C’est accessible, ça parle à tout le monde, tout le monde s’y reconnait, ça ressemble à ce que l’on vit au quotidien sans être trop simpliste.

Que dirais-tu pour convaincre quelqu’un de se mettre à la poésie ?

Qu’elle sauvera le monde et qu’il vaut mieux s’y mettre tout de suite !


PORTRAIT CULTUREL BELGE

Lieu préféré à Bruxelles ?
J’en ai vraiment beaucoup et c’est difficile de choisir. Je dirais le Pavillon des Passions Humaines, qui se trouve dans le Musée du Cinquantenaire. C’est un pavillon avec une sculpture monumentale en marbre qui est très peu ouvert au public. Il faut se renseigner pour savoir quand on y va, c’est à des heures fixes. C’est Jef Lambeaux qui a fait la sculpture et Victor Horta le pavillon, il y a toute une histoire très belle autour de ça. Ça représente des couples enlacés, c’est très impressionnant. Il faut aller lire l’historique aussi. C’est très beau.

Dernière sortie culturelle qui t’a marqué ?
Ça tombe bien parce que c’est vraiment très belge, c’est le documentaire sur Manu Bonmariage. C’est vraiment très beau, très belge, très tendre, très juste, très bien fait. Je le conseille vraiment. Manu Bonmariage c’est l’un des caractères principaux de l’émission culte, Strip-Tease.

Un artiste belge à suivre ?
C’est une artiste textile qui s’appelle Jot Fau qui crée des vêtements absolument incroyables. Ce ne sont pas des collections mais des vêtements sur mesure, soit pour elle-même, soit pour des expositions, soit pour des commandes. Elle fait aussi de la céramique, de la sculpture, c’est une artiste très complète et fascinante.

Cette interview a été réalisé par Inès Chassagneux en stage chez Kilti au printemps 2018, les photos sont de Laure Calbeau. Un grand merci à elles deux et à Victoire de Changy pour cette belle interview, ainsi qu’à la Jazz Station pour son accueil.

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