PROCHAINE ÉDITION : Kilti Bruxelles #31 - jusqu'au 25/04

Interview de l’auteur de BD Aniss El Hamouri au Théâtre de la Vie

– Printemps 2018 –

Ta bande-dessinée « Comme un frisson » est sortie en septembre 2017. Peux-tu nous en dire plus ?

C’est un projet que j’ai mené pendant 3 ans, avec plus ou moins d’intensité. J’ai fait beaucoup de bande-dessinées, mais c’est la première qui est publiée par un éditeur. Pour mon papa c’est ma première bande-dessinée publiée, pour mes copains, qui font du fanzine, c’est ma 10ebande-dessinée publiée (rires).
Ça parle de Renata, une fille un peu paumée dans sa vie et pas très à l’aise. Elle se sent décalée par rapport aux gens autour d’elle. Elle a une espèce de sens du danger qui résonne dans sa tête avant que quelque chose de mauvais ne lui arrive. Un jour, elle se fait voler son ordinateur par deux types chelous, qu’elle va retrouver par la suite et qui vont lui proposer de rester avec eux en échange de son ordinateur. Se crée alors un jeu de chantage entre ces personnages. Elle va les suivre et devenir peu à peu comme eux. Il y a une sorte de perte de contrôle au fur et à mesure du livre. Je sais très mal pitcher mon livre. C’est pas grave, il est bien, je vous jure !

Ça me fait penser à Spiderman, le sens qui permet d’anticiper le danger…

Oui ! Spiderman, hyper important ! Personne ne pense à Spiderman, je suis très content que tu en parles. Je suis venu avec une casquette Spiderman, c’était peut-être un indice. Je suis un énorme fan de Spiderman. Quand j’étais aux études je me disais que ce serait trop bien une histoire avec quelqu’un qui a le spider sense mais qui n’en fait rien (rires). C’est vraiment basé là-dessus. Je voulais que ça s’appelle Tinglingau départ, parce que Spiderman dit « My spider sense is tingling ». Cette capacité à sentir le danger ça me fascine complètement, parce que le danger c’est hyper abstrait. Et Renata, vu qu’elle veut l’éviter elle tombe dedans tout le temps.

Pourquoi Renata ? Ce n’est pas un prénom très commun. 

Il n’y a pas vraiment de raison. J’y ai pensé à un moment, je l’ai entendu quelque part. Quand je cherche des prénoms des noms aux gens, je reviens souvent à la première idée. Renata c’est venu assez vite et ça s’est confirmé. J’ai appris entre temps que c’est surtout en Europe de l’Est que des personnes s’appellent Renata, même si ça fait Italien. Donc voilà, pas de raisons particulières.

Vu ton amour de Spiderman, j’imagine que tu as un passé avec les comics ; est-ce que c’est une influence pour toi ? Est-ce que c’est ça qui t’a amené à la bande-dessinée ? Sinon, comment en es-tu arrivé là ?

J’ai lu énormément de comics, mais j’en lis beaucoup moins maintenant, notamment parce que je trouve qu’il y a vraiment une surproduction. Sur ce que je lisais 70% était horrible et 30% était chouette. Je lisais pour me tenir à jour. Il y a vraiment ce côté-là de se tenir à jour, un peu comme dans les Marvel ; il ne faut pas regarder de bons films, il faut regarder des films pour avoir des infos. Bref. J’ai lu énormément de Comics. Et il y a plein d’histoires nulles à chier, vraiment. Après, j’adore le personnage, j’adore sa mythologie. Il me fascine. Et les comics m’ont fasciné pendant longtemps. Quand j’étudiais la bande-dessinée, il y avait une vraie mimétique par rapport au comics et puis ça m’est un peu passé, en même temps que la passion pour cette institution précise de la bande-dessinée.
Je pense que c’est quand même très fort en moi. Il y a vraiment un truc de mise en scène : j’aime beaucoup les poses et dessiner les personnages dans des poses hyper impressionnantes.
Mais je ne sais pas si c’est vraiment ça qui m’a amenée à la bande-dessinée. Je me suis un peu lancé là-dedans sans trop savoir. Pendant que j’étudiais la bande dessinée, plus je la découvrais, plus je me rendais compte que je l’aimais. Mais quand j’ai commencé mes études, je ne lisais rien de très spécifique. Je lisais des trucs que tout le monde lisait.

Pour toi, qu’est-ce que la BD apporte par rapport aux autres médiums ?

Vous avez 3h (rires). C’est très difficile à dire. C’est unique de plein de manières. Il y a des gens qui vont s’énerver s’ils entendent ça, mais moi je le rapproche beaucoup plus au cinéma qu’à l’illustration. Pour moi, c’est avant tout narratif. Ce qui m’importe c’est le côté séquentiel, le côté de mise en scène. Il y a un truc qui est très important et que j’adore dans la bande-dessinée c’est que le temps est non linéaire. Parce que le temps est de l’espace, et l’espace est symbole de temps. C’est génial. On peut allonger des moments ou revenir en arrière. Et puis c’est un objet physique dans lequel on peut revenir en arrière physiquement. Rien que là, il y a une ligne chronologique du lecteur qui est non linéaire.
Il y a aussi une notion où l’espace de la planche, de la page, du livre, devient un outil de mise en scène. Il y a vraiment une construction de composition qui peut amener le lecteur à lire différemment les choses. On peut faire résonner des phrases ou des dessins en les mettant tous seuls sur une page par exemple.
Finalement, la notion du dessin est importante. On représente une réalité qui peut être symboliste, donc on peut se détacher de la réalité avec le dessin. Sachant qu’en cinéma il faut de la lumière, de la post prod, etc… Nous, on peut décrire une réalité et une ambiance différente avec la seule force du dessin.

Maintenant que ta bande-dessinée est sortie, sur quoi tu travailles en ce moment ?

J’ai eu un peu de mal à me remettre à travailler. Elle m’a beaucoup coûté cette bande-dessinée, émotionnellement et énergétiquement. Ça a été un peu difficile une fois que le projet a été fini de se dire qu’il fallait repartir dans un nouveau un storyboard. C’est une étape d’écriture très longue, qui me demande beaucoup d’énergie mentale. Et du coup ça a été un peu dur de se relancer dans la machine. Là je bosse sur un truc dans mon coin. C’est une série de fantasy médiévale avec des adolescents clochards sorciers. Ils ont des pouvoirs bizarres et vivent en marge. Ils essayent de fuir et survivre. J’essaye d’aborder ça sous la forme de mini chapitres pour pouvoir changer de rythme et de perception.

Qu’est ce qui t’inspire ? Comment est-ce que tu te nourris et tu nourris ton art ?

De voir/écouter/lire des histoires qui ne me plaisent pas. Je regardais pas mal de séries pendant que je faisais mes planches, parce que je n’avais plus besoin de réfléchir. C’était des séries avec une espèce de « tout va bien », qui me donne envie de vomir. Souvent je voyais le moment où ça passait d’un moment bizarre et gênant au mensonge de « en fait tout va bien ». Je voyais exactement en quoi ça me décevait, en quoi je n’aimais pas ce que l’on venait de me dire. Mais qu’est-ce qui se passerait si ça ne s’était pas passé comme ça ? Je tenais donc un blog et c’était un fil que je déroulais comme ça. Il y a des histoires qui m’ont trahi, parce qu’elles me mentent et je veux dire la vérité. Par exemple, Karaté Kid : il lave les voitures, pour apprendre le kung-fu sans s’en rendre compte. Mais moi je veux l’histoire d’un gosse qui n’a pas appris le kung-fu mais qui a été trompé et exploité pour laver une voiture! (rires) Là ça m’intéresse.

Ton univers est plutôt sombre, et tu vas illustrer le panier «Kilti-les-Bains», comment abordes-tu ce thème?

J’aime bien faire des personnages bizarres, donc des personnages bizarres dans des situations agréables pourquoi pas ! La place c’est chouette, c’est la glande, les copains! Les personnages de ma BD vont à la plage d’ailleurs.

Au-delà du mot sombre, comment tu définirais ton style et ton univers ?

Quand on me demande ce que je fais comme style de BD, je botte en touche et je dis que je fais des trucs déprimants (rires). J’essaye de raconter une grande histoire mais en me penchant sur des détails et sur les personnages qui les vivent. J’aimerais bien qu’on sente au maximum de l’empathie pour eux. Est-ce que je peux dire que c’est de la bande-dessinée empathique ?
Je suis un peu à cheval entre le underground et le mainstream. Pour mes copains du fanzine, je fais quand même de la bande-dessinée avec des personnages qui parlent et vivent des expériences, mais pour le grand public, je fais de la bande-dessinée, pas dessinée comme on en a l’habitude, sans couleur…

Est-ce que tu peux nous expliquer ce qu’est un fanzine ?

Un fanzine c’est de la microédition. On est chez soi, on dessine une bande-dessinée (ou autre chose !), on trouve un moyen de l’imprimer en plusieurs exemplaires et on la vend à petit prix, juste assez pour continuer à en faire. C’est né dans les milieux très politiques avec des impressions de manifestes, mais ça peut aussi être simplement des fans de voitures qui veulent parler de voitures par exemple!
C’est un milieu pas mal développé dans l’illustration et la bande-dessinée car c’est un moyen de s’exprimer très immédiat. La proposition en Belgique est immense : par exemple on a le festival Mirage en mai à Bruxelles. C’est un bon moyen de découvrir des auteurs ou des gens qui ont besoin de s’exprimer directement.

Quand tu écris une bande-dessinée, comment est-ce que cela se passe pour toi ?

Pour mon bouquin, ça été très long. Il y a une idée matricielle, mais un pitch seul ça ne vaut rien. Le truc de l’idée originale n’a pas beaucoup de valeur. Ce qui compte c’est plus le déroulement, comment on gère l’histoire après. Au début, je sais que je veux telle ou telle scène, que le début sera ainsi et la fin comme ça. Le reste, je ne sais pas trop. Et je me laisse aller à mes désirs du moment quand je fais le storyboard, ça se fait assez organiquement. Visuellement je vois une scène et je veux y arriver.
Après c’est beaucoup de temps où je réfléchis au personnage. Surtout sur les longs projets, où il y a vraiment un voyage avec les personnages. Ils se construisent au fur et à mesure en toi. J’ai un moment, je suis dans le tram, je n’ai rien à faire et je pense à ces personnages. Parfois tu as des déclics et tu te dis « c’est ça le sens de ce personnage ». Et il fait les faire se rencontrer, beaucoup. Il y a une forme de perte de contrôle dans cette écriture-là.

 


PORTRAIT CULTUREL BELGE

Tu illustres le panier estival, où est-ce que tu aimes trainer l’été à Bruxelles ?
Chez moi ! Sinon j’adore Cinematek, c’est un endroit génial où ils passent des films incroyables qu’on ne voit jamais au cinéma. J’aime bien le bar de l’Athénée dont je reviens à l’instant, et puis des lieux supers comme le Rumsteek et le Barlok.

Un concert / spectacle / film vu récemment que tu recommanderais?
C’est un peu vieux, mais je dirais « le Transperceneige », film génial et incroyable. Tu t’attends à voir une production hollywoodienne classique avec Chris Evans (Captain America) mais c’est un Coréen aux manettes, et il est complètement FOU.

Un lieu marquant à Bruxelles pour toi à Bruxelles?
Le parking 58, c’était bien. Mais il n’existe plus. On pouvait aller sur le toit du parking 58 d’où l’on voyait toute la ville dans une ambiance étrange.

Des artistes belges à suivre?
Docteur Lunet et Thomas Vermeire, des personnes incroyables avec qui j’ai aussi créé la maison de micro-édition Brumeville.

Cette interview a été réalisé par Inès Chassagneux en stage chez Kilti au printemps 2018, les photos sont de Laure Calbeau. Un grand merci à elles deux et à Aniss pour cette joyeuse interview ! Pour suivre le travail d’Aniss, rendez-vous sur son site ou sur facebook.
Merci au Théâtre de la Vie d’avoir accueilli cet interview dans ses murs.

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